Texte : Florent Préambule
Avant de commencer l’analyse
proprement dite du clip, il est utile d’émettre à son sujet quelques
réserves.
Précisons d’emblée que la série
des quelques défauts qui seront ici évoqués seront par la suite
définitivement gommés, avec notamment le
très sobre clip Sans Contrefaçon et plus encore avec Pourvu Qu’elles Soient Douces,
ou s’épanouiront pleinement les talents conjugués de Mylène Farmer et Laurent
Boutonnat.
Tristana,
clip inspiré par l’histoire de Blanche Neige, sur fond de révolution russe, ne
peut manquer d’interpeller le spectateur exigeant. En effet, le clip souffre
d’avoir uni deux genres complètement opposés et difficilement conciliables, une
union presque contre-nature si l’on peut oser s’exprimer ainsi, mais dont Laurent
Boutonnat et Mylène ont le secret, a savoir le conte, genre intemporel par définition
et le genre historique, genre qui traite de la temporalité. Il en résulte une œuvre
hétéroclite.
Mais ne nous alourdissons pas plus longtemps sur
les imperfections du clip, qui vous l’avez sûrement compris, sont nombreuses,
pour souligner l’exceptionnelle présence de Sophie Tellier, d’abord Tsarine
puis sorcière démoniaque ô combien délicieuse. Il nous faut bien dire que Mylène
fait un peu pâle figure à côté de celle de Sophie Tellier. On en vient même à
se demander si Laurent Boutonnat n’a pas voulu mettre en lumière la figure
maléfique de la reine au détriment de la gentille Tristana. En définitive, et
malgré tout ces défauts, nous ne pouvons blâmer, ni Mylène ni Laurent Boutonnat
d’avoir voulu sortir des sentiers battus et d’avoir essayé d’apporter un peu
d’originalité et de rêve à une époque ou l’on en demandait pas tant.

D’imperceptibles et lointains échos
« Il
ne faut pas chercher à établir une étroite relation entre les images et la
chanson. Il n’y en a pas, à part la tristesse, seul dénominateur commun. » 1
« Mis
à part « l’outil promotionnel » évident, l’image apporte une part de
rêve supplémentaire, complémentaire des mots. Ce qui me gêne, en revanche,
c’est la vulgarité, la médiocrité de nombreuses vidéos ! Laurent et moi
écrivons les scénarios de ces clips, en mettant la chanson au service de
l’image, en créant des situations nouvelles qui vont éventuellement parvenir à
apporter une magie. Trop souvent, les clips
se contentent d’être des explications de textes, comme si le public n’était pas
capable de comprendre directement la chanson. Pour ma part je préfère le
détournement de texte qui seul engendre des émotions. » 2 1. Stratégie, 11 mai 1987 2. L'Est Républicain, 25 mai 1987
Ce qu’énonce L.Boutonnat comme une fin de non
recevoir à toute tentative d’explication, Mylène, elle, le redéfinit et
explicite clairement le procédé utilisé, c'est-à-dire « Mettre la chanson
au service de l’image ». Cette déclaration qui peut sembler anodine à
première vue, ne l’est pas vraiment, elle nous dévoile les secrets, si tant est
qu’ils en sont, qui sont ici à l’œuvre, la recette qu’ils appliqueront par la
suite, avec d’autres créations, d’autres clips…
En étant un peu attentif au traitement que subit le
texte par rapport aux images qui sont façonnés dans le clip, on remarque que
paroles et images se répondent et résonnent en d’imperceptibles et lointains
échos.
Avant de définir ces imperceptibles échos entre les
paroles et l’image, qui sont autant de jeux de miroir déformants, il ne sera
pas inutile de d’abord préciser ce qui saute aux yeux dans le clip.
Tristana s’inspire de toute évidence du conte de Blanche neige et les sept
nains, et plus particulièrement de la version quelque peu édulcorée qu’en a
faite Walt Disney, plutôt qu’à la version originelle, telle que celle rapportée
par les frères Grimm. Rappelons qu’entre 1812 et 1815 les deux frères Grimm,
Jacob et Wilhem avaient recueillis bon nombre de légendes et mythes issus de
notre vieux fond littéraire indo-européen.
Toutefois le duo Farmer/Boutonnat ne sombrera pas
comme Walt Disney dans la mise en scène un peu insipide que nous connaissons
tous, en donnant une couleur inattendue de romantisme noir sur fond de tragédie
russe – ici, exit des happy ends, et le sang coule.

A présent,
laissons nous porter par les mots et les images, qui sont autant de
signes susceptibles de « créer des situations nouvelles (…) qui seul
engendre des émotions. »
---------
« Contre ta bouche elle veut qu’on la
couche. »
Deux fois Rasoukine embrassera Tristana. Dans
l’immense taïga russe Rasoukine déclare
son amour, Tristana « qui est prête à tout » demande à son amoureux
un baiser. Il existe à ce propos une petite anecdote amusante,
que nous rapportera Mylène : « L’acteur
qui joue le paysan (Vladimir Ivtchenko), avait tellement le trac, qu’avant
toutes les scènes difficile du sous bois, et notamment la scène du baiser, il
buvait de la vodka pour surmonter sa pudeur ! C’était très émouvant !
D’autant plus qu’il n’est pas acteur ! » (3)
Couchée dans une robe nuptiale, Tristana est morte.
Rasoukine, nouveau prince charmant, donne le baiser sensé ressusciter sa
bien-aimée, ce qui n’arrivera pas. Ce baiser scelle leurs fiançailles dans la
mort.
Rasoukine est désormais condamné à aimer une femme qui n’est plus :
« L’amour a tué les mots qui la touchent… »
« Triste elle fait la grimace, devant sa
glace. »
La cruelle tsarine, qui devant son miroir,
s’enorgueillit vainement de sa beauté. Pourtant elle est laide, tant la haine
la ronge ; son visage est grimaçant.
« Du sang qui coule… »
On songe à l’épée ensanglantée, dont la reine en se
délectant, lèche la lame ; au moine meurtrier qui n’hésitera pas à porter
avec cette même arme, un coup au visage de Rasoukine, blessure qui le marquera
pour toujours ; et le sang de Tristana qui éclabousse les murs de la cabane
des sept nains…
« …des corps qui se cassent. »
Images des corps brisés dans la révolution russe,
des corps blessés quand Rasoukine est laissé pour mort par les cosaques, des
corps déchirés quand les loups mettent à mort la reine, des corps meurtris quand
Tristana cesse de vivre, des corps abandonnés quand le moine mort lui aussi,
gît dans la neige et le froid.
« Adieu Tristana. Ton cœur a pris
froid. »
Les paysages dans la neige et le froid, métaphore
de l’état psychologique de Tristana.
« Adieu Tristana. Dieu baisse les bras. »
Présence des symboles religieux, qui révèlent
autant de défaite de faire appel à Dieu.
Rasoukine est blessé quand il donne sa croix à
Tristana. Tristana mourra après avoir regardé une dernière
fois cette croix maudite, en pensant à son amour perdu. De même le moine meurt, au moment ou il implore Dieu.
Dieu a abandonné les hommes, ils ont beau
l’appeler, rien ne leur sera épargné dans l’accomplissement de leur destin.
« Laissez-la partir. Laissez-la mourir »
Rien ne peut retenir Tristana, dans ce triste
monde, ni Rasoukine, ni la croix, ni les nains… Tristana, c’est le chant de la perte des êtres chers
comme de ceux détestés.

Pour en savoir
plus :
Découvrez l'analyse de la chanson Tristana par Florent
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