1. La dimension biographique et circonstancielle du clip
« Très sincèrement, je ne pense pas être
utile à personne. Ce serait très prétentieux de ma part. Je pense qu’on peut
réunir des personnes autour d’une émotion. Maintenant, avoir des gens aussi
chaleureux en face de moi chaque soir, ça ne m’empêche pas de me demander à
quoi je sers. »
Mylène Farmer1
La plupart des commentaires fait sur le clip, l’ont
bien souvent expliqué sous un angle « mythologico-littéraire » en
évoquant le passage d’une rive à l’autre, de la vie à la mort. Le passeur
Charon, nocher des enfers qui a pour rôle de faire passer sur sa barque,
moyennant péage, les ombres des défunts à travers le fleuve Styx (ou selon
d’autres sources l’Achéron) vers le séjour des morts.
Bien que ces analyses puissent être pertinentes et
intéressantes, elles passent à côté de la dimension circonstancielle et
biographique dans laquelle la chanson et le clip furent réalisés.
Une fois de plus, Laurent Boutonnat tourne ce clip
en 35mm et cinémascope. L’image est surexposée, créant une ambiance douce et
feutrée, ce qui donne au paysage et aux personnages un aspect quelque peu
fantomatique. De même, il utilise de manière assez conséquente la technique de
surimpression d’une image sur une autre, qui s’agence en fondu enchaîné
fréquent.
A chanson de circonstance, clip de circonstance.
Nous verrons que chanson et clip symbolisent aussi une transition, un état
d’esprit.
Les premières images nous montrent Mylène, cheveux
en chignon, à peine maquillée, portant des bottes et un grand manteau de pluie, et à sa main gauche
une petite valise. Cette valise symbolise les doutes de Mylène, autant que les
souvenirs issus de la première série de concert donnés entre le 11 mai et 27 mai
1989. Le passeur, nouveau Charon ne serait autre que Laurent Boutonnat,
compositeur des musiques et co-auteur des spectacles de Mylène.
Véritable
soutien pour elle, il l’emmène dans sa barque, et va l’aider à passer les eaux
périlleuses du Styx qui sont les doutes et les incertitudes face a cette
nouvelle expérience que constitue la scène avec son public. Il la conduira à
rencontrer de nouveau les personnages, que tous deux ont patiemment construit,
à se les réapproprier pour leur donner une nouvelle vie.
Elle descend de la barque et va rejoindre les
personnages de ses précédents clips. A leur tête, Mylène marche dans les eaux
du lac, pour les conduire vers de nouvelles aventures, que constitueront les
prochaines dates de concert à partir de septembre 1989.
Nous le voyons, loin d’être un adieu à la scène,
comme on aurait pu le penser ou le craindre, A quoi je sers, malgré son ton
mélancolique et pessimiste s’apparente plus à un passage vers une renaissance
que Mylène effectuera avec ses compagnons imaginaires sur toutes les scènes de
France et face à un public, son public.
Charon / Boutonnat repart seul et s’efface, pour
laisser place à Mylène et au spectacle, en emportant avec lui dans la petite
valise, tous les tracas, les hésitations et les doutes. 
1. Interview extraite du magazine Smash hits,
hors série n°2, 1992
|